Des nouvelles de la supervision
Conférence de l’ANSE à Budapest
Michel Moral
Le mot de ce jour concerne le colloque sur la recherche en supervision organisé par l’ANSE à Budapest les 24 et 25 avril 2015.
« Le colloque assemblait une soixantaine de personnes venant de 13 pays, essentiellement de l’est de l’Europe. J’étais le seul Français qui a participé à un colloque de l’ANSE depuis sa création, donc objet de beaucoup de curiosité : la France est une zone blanche sur la carte pour cette association qui réunit 8000 superviseurs.
Le premier thème abordé concerne un enjeu important pour l’ANSE : faire de la profession de superviseur une activité auto-régulée et reconnue par l’Union Européenne dans le cadre du « Long Life Learning » et de l’EQF (European Qualification Framework).
Le thème principal du colloque concerne la recherche en supervision sur laquelle on peut noter deux conclusions importantes
Premièrement, les études pragmatiques montrent que la supervision a des effets positifs sur les clients finaux dans les organisations, notamment en termes de réduction du turnover, réduction de la fatigue émotionnelle et amélioration de la capacité à communiquer.
Cela dit, beaucoup de recherches restent à mener pour mieux comprendre le pourquoi de tels effets, même si la qualité de la relation entre superviseur et supervisé apparait comme un facteur prévalent.
Un autre point d’intérêt concerne les dommages potentiels subis par les supervisés lors de certaines supervisions. Affronter cette question au sein de la profession est absolument nécessaire pour progresser vers une plus grande maturité de cette activité et sa reconnaissance par les Pouvoirs Publics et les organisations clientes.
Les recherches pragmatiques sur ce thème commencent et mettent en avant trois éléments qui favorisent les dommages potentiels (« potential injuries ») :
- Une supervision collective qui a lieu sur le lieu du travail
- La présence obligatoire aux séances de supervision
- La présence du supérieur hiérarchique ou du coordinateur des supervisés
Ces éléments nous évoquent une forme de supervision institutionnelle de coachs internes qui, fort heureusement, n’est pas représentative des situations en France. Nous pouvons envoyer une copie des slides à ceux d’entre vous que cela intéresse.
Il y a eu plus de 20 interventions en parallèle, donc beaucoup de contenu qui va nous permettre d’enrichir notre formation de superviseur.
L’évènement a aussi permis d’établir de nombreux contacts avec cette association jusqu’ici peu connue à l’ouest de l’Europe. »
Je n’ai rien à ajouter sauf me réjouir de voir s’activer la recherche sur la supervision. Nous nous efforcerons, Florence et moi, de participer à tous les évènements relatifs à la supervision en Europe (nombreux cette année) et de vous en informer.
Les compétences de la supervision d’après l’ANSE
Michel Moral
Le mot de ce jour concerne la publication le 11 septembre par l’ANSE du document « A European Competence Framework of Supervision and Coaching ».
Je suis vraiment désolé de revenir si vite vers vous mais la nouvelle est d’une grande importance : il s’agit en effet desbases de la régulation des professions de coach et de superviseur de coach par l’Union Européenne.
Ce document ne devait être publié qu’en septembre. C’est donc aussi une surprise.
J’avais expliqué le processus poursuivi par l’Union Européenne et l’ANSE depuis 2009 dans mon mail du 19 juillet 2014 dont voici un résumé :
L’ANSE a vu le jour en 1997 lorsque plusieurs associations de superviseurs se sont regroupées, elle compte maintenant 8000 membres. Basée à Vienne sa mission est de favoriser les échanges et la coopération entre superviseurs en Europe.
Elle travaille depuis 2009 sur les projets de l’Union Européenne en collaboration avec Eurocadres, en particulier sur les objectifs de l’agenda de Lisbonne. En 2011 se forme une structure de travail entre l’ANSE, Eurocadres et VHS GmbH pour faire une proposition dans le cadre du projet Européen Leonardo da Vinci (développement de l’Innovation) : le projet ECVision.
Celui-ci est choisi par l’UE en 2012 avec pour objectif : « develop a European System of Comparability and Validation of Supervisory Competences ».
Le projet comprend trois livrables :
- Un glossaire qui a été délivré en février 2014,
- une matrice de compétences qu’il était prévu de délivrer en septembre 2015,
- et un processus de validation des compétences dont la date de parution n’était pas précisée. Le projet est inscrit dans le cadre l’EQF (European Qualification Framework) et formera in fine une accréditation des superviseurs « estampillée UE ».
La publication de la matrice de compétences était donc attendue avec impatience, mais plus tard cette année. Il s’agit d’un document de 36 pages que l’on peut télécharger à partir du site de l’ANSE.
Il est articulé selon la logique EQF (European Qualification Framework) et autour de la taxonomie de Bloom.
Chaque compétence est donc illustrée par une douzaine d’indicateurs, parfois plus, relatifs au « savoir », au « savoir-faire » et aux « comportements observables ». Il y a 9 catégories de compétences pour un total de 24 compétences donc au final énormément d’indicateurs.
La matrice de compétences n’est pas faite pour être couverte entièrement mais pour que les organismes concernés puissent y puiser les éléments qui leur paraissent essentiels :
* Elle permet donc à une association de coachs et/ou de superviseurs de décrire son système d’accréditation en fonction de son identité, ce qui lui permettra de se comparer aux autres associations nationales ou internationales.
* Elle permet aussi de comparer les programmes de formation au coaching et à la supervision.
* Enfin elle permettra peut-être de construire une accréditation Européenne de coach et/ou de superviseur de coachs.
* Tout cela devrait offrir une meilleure protection aux clients.
Bref, tout cela avance très vite, plus vite que prévu… Les associations se sont déjà mises à réfléchir à ce que cela signifie pour elles.
Qu’est-ce qui explique l’intelligence collective ?
Michel Moral
Le mot de ce jour concerne la recherche publiée en décembre 2014 par David Engel à propos de l’intelligence collective et qui a suscité pas mal d’échanges entre superviseurs de différents pays. Un des thèmes qui préoccupe actuellement les superviseurs anglo-saxons est en effet la supervision des coachs d’équipe et les techniques afférentes.
Cette recherche fait suite à celle, très remarquée, d’Anita Woolley publiée en 2011.
La plupart d’entre vous ont dû en entendre parler. Pour mémoire la recherche de Woolley porte sur 200 groupes soumis à 10 tâches différentes. L’analyse statistique fait apparaître qu’un seul facteur peut expliquer 43% de la performance.
Ce facteur baptisé « intelligence collective » par Woolley est très corrélé avec la façon de distribuer la parole au sein du groupe et avec la « sensibilité sociale » (intelligence relationnelle) totale mesurée à l’aide du test « Reading the mind in the eyes » de Baron-Cohen (2001) .
La recherche de David Engel porte sur 68 groupes. L’objectif est d’explorer dans quelle mesure l’intelligence collective émerge dans des groupes travaillant online.
Elle reprend le protocole de celle d’Anita Wolley avec les variantes suivantes :
- Une partie des groupes communique en face à face tandis que l’autre ne communique qu’en ligne, par du texte seulement, via un système partagé. Les membres de ces derniers groupes n’ont jamais rencontré leurs coéquipiers.
- La contribution des membres qui communiquent en ligne est mesurée par la quantité de texte envoyé.
- La personnalité des participants est mesurée avec le « Big 5 » et agrégée en un facteur de personnalité par groupe.
- Les tâches sont plus nombreuses et plus variées.
Les résultats sont intéressants, en résumé :
- Le facteur « intelligence collective » explique 49% de la performance pour les groupes face à face et 41% pour les groupes online.
- Le total des scores au « Reading the Mind in the Eyes Test » est fortement prédictif de l’intelligence collective, aussi bien pour les groupes face à face que pour les groupes online.
- Comme pour la recherche de Wooley la présence de femmes a un effet positif sur l’IC mais l’intelligence cognitive des membres n’en a que peu.
- Le facteur de personnalité par groupe n’a pas d’effet sur l’IC.
Ce que montre la recherche d’Engel, c’est que le test « Reading the Mind in the Eyes » donne une bonne mesure de la « Théorie de l’Esprit », terminologie que les auteurs préfèrent à celle de « sensibilité sociale » utilisée par Woolley.
Mais, et c’est là le fait le plus significatif, ce test mesure également très bien notre capacité à « lire entre les lignes » l’état d’esprit et les intentions de l’autre dans du texte online (mails par exemple).
C’est une information très importante à une époque où nous coachons des équipes dispersées à travers le monde et nous supervisons, parfois à distance, des coachs qui ont la charge de telles équipes. Combien de fois sommes-nous tombés sur des situations de mails sur-interprétés qui conduisent à de graves malentendus ?
La bonne nouvelle est que la possibilité d’améliorer la « sensibilité sociale » existe. Métaphoriquement il suffit de lever les yeux depuis notre nombril vers le regard de l’autre. Cette discipline intérieure du coach et du superviseur peut s’acquérir simplement par entrainement.
A noter que d’autres test existent pour mesurer la « sensibilité sociale » tels que « Faux Pas Recognition », « Reading the Mind in the Voice » et « Social Reasoning Wason Selection » et il est à prévoir qu’ils prédisent également la capacité à lire entre les lignes.
Pour finir, le programme de la cinquième conférence internationale sur la supervision des coachs est maintenant disponible. La conférence aura lieu cette année le 11 juillet au John Henry Brookes Building à l’Université Oxford Brookes.
Les superviseurs et la culture coaching
Mon mot du jour concerne le rôle des superviseurs dans un champ particulier du coaching : la« culture coaching », notion qui prend de plus en plus d’importance chez nos grands clients internationaux.
L’examen des thèmes abordés dans les colloques internationaux montre en effet que les coachs y réfléchissent depuis 2003, mais plus encore depuis peu, et que les superviseurs commencent à y penser sérieusement depuis un an.
Tout d’abord, de quoi s’agit-il ?
Je crois que les premiers à en parler ont été Janice Caplan en 2003 (« Coaching for the Future », CIPD) et Alison Hardingham en 2004 (« The Coach’s Coach », CIPD).
David Clutterbuck et David Meggison (proches de l’EMCC) dans un ouvrage paru en 2005 (« Making coaching work: creating a Coaching Culture », CIPD) donnent cette définition : « La culture coaching existe lorsque le coaching devient un style prévalent de management et de travail en commun avec pour finalité de faire croître à la fois l’organisation et les personnes »
Il s’agit donc d’une modification de la culture d’entreprise visant à introduire des valeurs detransformation et de culture cohésive (des valeurs de niveau 4 et 5 dans CTT) dont on sait qu’ils sont les prérequis à l’intelligence collective. Cette idée de culture plus transformationnelle et plus cohésive a progressivement évolué vers celle d’une approche permettant de coordonner l’ensemble des missions de coaching pour mieux les mettre au service de la stratégie de l’entreprise.
En 2012, Peter Hawkins (proche de l’EMCC et de l’APECS), dans son livre « Creating a Coaching Culture » (McGrawHill), pose la question de la culture coaching en ces termes : « Quelle contribution unique peut apporter le coaching aux besoins de demain ? ».
Dans les années 90 le besoin de demain (donc de 2015…) était très clairement identifié comme le développement de leaders capables de relever les défis du 21ième siècle. L’industrie du coaching a bien répondu à ce besoin au point qu’une majorité des missions de coaching individuel actuelles comportent un objectif sur le développement du leadership.
Aujourd’hui, il n’est pas évident que les missions de coaching soient aussi bien connectées aux besoins de demain et il est rare que les questions suivantes soient posées : « Qu’apprenons-nous de l’ensemble des actions de coaching qui ont été menées ? » et « En quoi cet ensemble d’actions sert la stratégie de l’entreprise ».
Dans un ouvrage récent (« How to create a Coaching Culture » paru en 2014) Gillian Jones et Ro Gorell (proches de l’AOCS et de l’ICF) établissent qu’il y a deux approches : « Vous pouvez soit aligner la culture d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise, soit considérer cette culture comme votre stratégie ». Dans les faits, on observe le plus souvent une combinaison des deux approches, certains éléments de la stratégie pouvant être des éléments de culture (par exemple, « devenir solidaires » comme élément de stratégie ou « solidarité » comme élément de la culture cible). Ce qui différencie les deux approches est le « comment ».
Bien entendu, un certain nombre d’outils de mesure des progrès de l’implantation de la culture coaching ont fleuri ici et là et je peux envoyer à ceux que cela intéresse un exemple de ces outils présenté au colloque EMCC tenu à Venise en novembre 2014.
Toutes ces notions sont probablement très familières aux coachs de dirigeant et aux coachs internes qui sont les premiers concernés et je m’excuse d’avoir été un peu long dans cette introduction.
Et la supervision dans tout cela ?
Les superviseurs internationaux savent bien que la guerre des coûts directs est en cours d’achèvement, à coups de délocalisation, de verticalisation et d’externalisation, et que celle des coûts indirects l’est également.
La bataille de la compétitivité se déplace donc désormais vers la culture d’entreprise avec pour enjeu de d’occuper rapidement le champ des valeurs transformationnelles et cohésives qui sont le socle de l’intelligence collective.
Les associations de superviseurs ne sont pas toutes au même niveau de réflexion sur le sujet. L’AOCS qui s’appuie sur Ashridge (grosso modo l’équivalent UK du CRC d’HEC ou de l’INSEAD) est en pointe en raison d’un background très entrepreneurial. Elle mène le bal en incluant les autres associations comme l’ICF, l’EMCC, l’AC et APECS dans ses réflexions.
Les axes des groupes de travail portent sur les façons de coordonner la supervision des coachs internes et externes en vue de mieux servir le développement de la Culture Coaching.
Ceci conduit inéluctablement à ce que les organisations portent un regard plus attentif sur la qualité des superviseurs des coachs qu’elles emploient. Elles insistent donc auprès des associations pour qu’il existe des formations et des accréditations de superviseur. Bien sûr, certains entrevoient de possibles dérives (instrumentalisation des superviseurs par exemple) et le champ de réflexion est très vaste.
Du côté de l’Europe Centrale l’ANSE n’est pas très active sur le sujet. Il existe quelques groupes de réflexion, en particulier autour de Frank Bresser mais je n’ai pas encore investigué en profondeur de ce côté. « One problem at a time… » nous verrons cela plus tard.